Margot Van den Berghe est une artiste textile belge. Ilke Cop est historienne des arts.
Tout.es deux sont résidentes de Pilar, un laboratoire artistique bruxellois pour les jeunes, situé à la VUB. Il s'agit d'un espace d'exposition, destiné à faire rayonner les travaux de jeunes créateur.ices innovant.es et de figures etablies, qui se nourrit des connaissances de pointe des scientifiques.
MAD a discuté avec Margot et Ilke.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Margot:
J'ai obtenu mon diplôme de designer textile à l'école des arts Luca l'année dernière. Je me qualifie à la fois d'artiste textile et de designer textile car, dans ma pratique, j'explore les frontières entre l'art et le design, entre le travail autonome et le travail fonctionnel. Je ne veux pas choisir l'un ou l'autre, car c'est cette limite qui rend la situation intéressante pour moi.
Je suis actuellement en résidence à Pilar (VUB) et j'ai mon studio au See U à Etterbeek. En raison du manque d'espace, j'avais l'habitude de devoir choisir la technique avec laquelle je travaillais, la couture, le tissage ou la broderie, mais je préfère travailler avec différents outils en même temps. Je me laisse guider par mon instinct. Un travail découle d'un autre, mais avec le manque d'espace, c'est délicat. Au See U, on m'a donné l'espace nécessaire pour expérimenter. Je reçois également des conseils, je peux donc toujours poser mes questions à quelqu'un. Cette résidence m'offre également de nouvelles opportunités, je viens de concevoir un espace d'assise pour Pilar à l'occasion du festival ASAP. En ce moment, je travaille au jour le jour. J'ai beaucoup de missions différentes, et c'est ce qui rend le travail amusant. Curating the Young organise bientôt une exposition individuelle de mon travaille et ensuite j'exposerai pendant le Design Fest Gent.
Ilke:
Je suis historien de l'art de formation et j'ai étudié les sciences de l'art à l'université de Gand. J'avais envie d’être plus créative après mes études, j'ai donc étudié le stylisme. J'ai ensuite créé ma propre marque de mode (ILKECOP) et conçu six collections au total. Pendant trois ans, j'ai présenté une nouvelle collection tous les six mois lors des Fashion week à Paris et à Amsterdam. Au bout d'un certain temps, j'ai eu le sentiment que je ne pouvais pas exprimer pleinement ma créativité dans ce domaine. J'avais toujours voulu peindre, alors j'ai commencé il y a trois ans. Bientôt, je peignais tous les jours et j'ai commencé à intégrer d'autres médiums dans ma pratique. Maintenant, je fais les choses parce que j’en ai envie et non par souci de fonctionnalité. Mon activité dans la mode m'imposait trop de limites, j'aspirais à une liberté totale de ma créativité, c'est une évidence pour moi aujourd’hui.
Depuis septembre, je suis en résidence à Pilar. Cela me donne l'espace nécessaire pour faire du bon travail. Depuis, tout s'est accéléré. Je viens de terminer ma première exposition indépendante à la galerie Tatjana Pieters, en mai je présenterai mon travail pour la première fois à New York et cet été, une grande toile de 6 mètres sur 2 sera exposée au Watou Arts Festival. En ce moment, vous pouvez voir mon travail au MAD et quelques autres œuvres dans l'exposition collective Ruby & (more) Friends à la Ruby Gallery Brussels.
"La durabilité est un point de départ important pour moi. Je travaille souvent avec de vieux tissus inutilisables pour d'autres, j'achète presque tous mes fils dans des friperies ou lors de ventes de stocks. C’est intéressant car je puise de l'inspiration dans les limites qui me sont inconsciemment imposées. "
Vous êtes tous deux artistes en résidence à Pilar. Parlez-nous de votre travail.
Margot:
Dans mes œuvres, je combine différentes techniques : tissage, broderie, couture et patchwork. Mes œuvres d'art sont réalisées à la fois mécaniquement et manuellement, mais j'ai une forte préférence pour le travail manuel. La touche humaine dans mon travail est très importante pour moi. Je peins et dessine aussi beaucoup. Ces "esquisses" peuvent donner une impulsion à un nouveau travail, mais ne constituent pas un model auquel je me cantonne. Ce sont les matériaux qui me guident, et non l’inverse.
Je collecte du fil ou des tissus et je travaille ensuite avec les matériaux dont je dispose. La durabilité est un point de départ important pour moi. Je travaille souvent avec de vieux tissus inutilisables pour d'autres, j'achète presque tous mes fils dans des friperies ou lors de ventes de stocks. C’est intéressant car je puise mon inspiration dans les limites qui me sont inconsciemment imposées.
Mes œuvres se situent à la frontière entre l'autonomie et la fonctionnalité, c’est une recherche intéressante. Par exemple, j'ai déjà fabriqué un tapis duquel j'ai ôté un grand morceau. De cette façon, l'aspect fonctionnel disparaît mais la référence au tapis reste claire. Par ailleurs, le dos et/ou le fond d’une œuvre sont très important selon moi. Un objet textile est souvent présenté d'un seul côté. Une face ou un dessus impressionnant nous fait souvent oublier que l'objet a aussi un dos ou un fond. Prenons une tapisserie ou à un tapis, les murs, les sols bloquent la visibilité d'un dos ou du dessous. Je ne veux pas exclure la visibilité de ces parties. Je veux inviter le public à être curieux.
Ilke:
Dans mon travail, je me concentre sur moi-même. J'ai commencé à pratiquer l'autoportrait parce que cela me permet d'établir un lien avec ma propre image, mais aussi avec les images qui ont été faites des femmes dans l'histoire de l'art. Aujourd'hui, je m'aperçois que j'ai tendance à ne plus me représenter explicitement, néanmoins, je qualifie toujours mes œuvres d’autoportraits. Je regarde les choses avec mes propres yeux et fais les choses avec mes compétences, de cette façon le travail reste ultra-personnel. Les spectateurs disent qu'il y a des éléments surréalistes dans mon travail, même si je ne dirai pas que mon travail est surréaliste. Je ne m'occupe pas du subconscient, mais plutôt du conscience. Je trouve intéressant d'envoyer des images et des souvenirs de ma mémoire à travers une sorte de prisme afin de créer une nouvelle image. Une nouvelle image qui, à son tour, a un impact sur le spectateur.
Il y a aussi quelques grands thèmes qui reviennent dans mon travail. Le rôle des femmes dans l'histoire de l'art et dans la société, ainsi que la relation entre présentation et représentation, ont été très importants pour moi depuis le début. Plus récemment, je me suis également penché sur le passé colonial de la Belgique. Le féminisme et le colonialisme sont des sujets que je côtoie beaucoup dans ma vie quotidienne. Je suis une penseuse militante et cela se reflète dans mon travail. J’aborde ces thèmes de mon point de vue personnel, car je ne veux pas entraver l’expression d’autres. Je suis très consciente de ma position de femme blanche privilégiée dans cette société et je veux explorer ce que cela signifie. Mes œuvres ont pour but de soulever un questionnement et d’explorer des sujets, et non de fournir des réponses. J'espère que mon travail touche les gens et les fait réfléchir.
"J'ai toujours eu un lien très fort avec le textile, c'est une chose très complexe pour moi. Les vêtements que je porte dans mes tableaux sont souvent mes propres créations. C'est important pour moi car cela symbolise l'évolution que j'ai connue dans ma carrière, de créatrice de mode à artiste."
Vous avez tous deux une relation avec le textile, expliquez-nous.
Ilke:
J'ai toujours eu un lien très fort avec le textile, c'est une chose très complexe pour moi. Les vêtements que je porte dans mes tableaux sont souvent mes propres créations. C'est important pour moi car cela symbolise l'évolution que j'ai connue dans ma carrière, de créatrice de mode à artiste. Pour mes installations textiles, je travaille souvent avec des tissus que j'ai utilisés pour mes collections, intégrant ainsi cette partie de mon histoire dans ma pratique artistique.
Les textiles sont également importants dans mon travail car ils ont un forte symbolique pour moi. Je reviens ici à l'aspect féministe, le textile a toujours été un médium féminin. Le rôle décoratif des textiles peut presque être assimilé au rôle décoratif des femmes à travers l'histoire. Ce rôle consistait à être belle, surtout à ne pas causer de problèmes et à ne pas avoir d'opinion. Les femmes ont toujours été mises de côté, les femmes qui ont eu une importance dans l'histoire ont été pour la plupart écrites par des hommes.
Margot:
Ma relation étroite avec les textiles est bien sûr très évidente puisque je travaille exclusivement avec ce matériau. Les textiles sont très faciles à manipuler et à déformer. Vous pouvez réaliser une surface entière avec un seul fil. Les textiles se développent, au sens propre. Je suis une observatrice haptique et je veux tout toucher. Ma pensée est traduite par mes mains. Le textile me pousse à me concentrer et me permet de ressentir. C'est quelque chose que je n'ai pas connu auparavant avec d'autres médiums. C'est aussi la texture du textile qui m'attire. Les gens peuvent toucher mes œuvres, ce n'est pas seulement l'esthétique qui compte pour moi. Ainsi, mes œuvres interagissent avec l'espace et les spectateurs.
Que présenterez-vous dans notre vitrine à l'occasion du WeKONEKT ?
Margot:
Je vais exposer une œuvre qui doit susciter l'intérêt et l'implication du visiteur. Le portail bleu pourrait être un rideau, une séparation de pièces, un passage (fermé) vers un autre espace. Cela crée une tension entre l'avant et l'arrière. Que se cache-t-il de l'autre côté ? Nous regardons au-delà de la surface. Nous regardons derrière et sous la surface. Nous cherchons la profondeur. Je réalise pour la première fois une œuvre de très grande taille. D'habitude, je réalise toujours des œuvres de petite taille, mais cette fois-ci, je voulais sortir de ma zone de confort.
Ilke:
L'œuvre que j'expose ici fait partie d'un triptyque intitulé State of Things. Il s'agit de trois autoportraits dans lesquels je suis représenté au centre. Ce triptyque traite des rôles sociaux que l'on attend d'une femme. La première œuvre porte sur le rôle érotique d'une femme, objet du regard masculin. La seconde traite de la maternité, de ce que l'on attend des femmes, de ce que l'on attend de soi-même et de la manière dont on traite les femmes sans enfant.
Le tableau que je présente ici traite de la domesticité. Il y a quelques siècles, la plus grande vertu d'une femme était la domesticité. On n'était pas autorisé à vivre ou à penser. Ses activités artistiques étaient donc confinées à la maison, c'est pourquoi les femmes peignaient souvent à l'aquarelle sur de petites toiles, jouaient de la musique ou faisaient de la broderie.
Je trouve personnellement très spécial que cette œuvre soit présentée à Bruxelles. Je suis originaire d'Anvers mais j'ai trouvé ma maison à Bruxelles. Pour moi, Bruxelles est un symbole de liberté dans mon histoire personnelle, elle est le symbole de certaines choses auxquelles je voulais échapper. C'est la première fois que j'expose quelque chose en public au centre de Bruxelles, dans un endroit où chaque passant peut le voir. Je suis curieuse de l'interaction de l'œuvre avec la ville et les passant.es.