© Shishi San

"J'ai toujours été inspirée par les fleurs asiatiques, les vases chinois, et japonais par leurs motifs, leurs couleurs et leurs formes. J'ai voulu créer ma propre version de ces vases."

Shishi San

8 juin 2023

Shishi San (1993) est une artiste textile pluridisciplinaire basée à Bruxelles repoussant les limites de la pratique avec ses fluffy vases. Chaque pièce, au-delà de l’objet, est une recherche assidue de nouvelles formes, de nouvelles balances de couleurs, et de motifs à la fois organiques et symétriques selon ses créations.

Adoptée par un couple belge quand elle était jeune, Shishi San est originaire du Vietnam. Inspirée de ce pays depuis ses débuts, Shihsi San puise son inspiration dans le folklore et les traditions locales, adoptant leur identité visuelle en y intégrant un peu de son histoire personnelle pour  créer une œuvre qui la représente. La culture vietnamienne partageant une histoire commune avec la Chine, le Japon et la Corée, l’Asie du sud et du sud-est jouent un rôle important dans sa pratique. 

Depuis 2022, Shishi San explore le potentiel sculpturel du tufting avec de nouvelles œuvres en trois dimensions. Elle sort de l’apprentissage du tufting traditionnel en créant ses premiers fluffy vases, des vases touffeté en 3D. Leurs singularités, leurs couleurs éclatantes, et la finesse des motifs ont fait de Shishi San une des figures montantes de la pratique. 

Vous pouvez actuellement retrouver le travail de Shishi San dans notre exposition A(R)MOUR du photographe maroco-belge Mous Lamrabat. Au cœur de Molenbeek, il a réalisé une série de photos en collaboration avec 12 designers bruxellois, dont Shishi. La série est une ode à la créativité bruxelloise, mais aussi au 'melting pot' culturel de notre ville. MAD Brussels a discuté avec Shishi San, figure montante de l’art textile, à propos de son travail, de sa culture et de son inspiration.

 

Nous aimerions en savoir plus sur ton parcours en tant qu'artiste et sur ce qui a influencé la créatrice que tu es aujourd'hui. 

"Depuis très jeune, je m’intéresse à l’art et au dessin et j’aime créer des choses avec mes mains. J’ai étudié l’art, plus jeune, puis j’ai tout arrêté pour faire 6 ans de ventes qui m’ont peu à peu éloigné de la création. J’ai appris la broderie, le crochet, le ‘punch needle’ et plus tard le tufting et depuis je ne travaille que le textile. Je suis très visuelle, j’aime beaucoup travailler les couleurs et les textures, et c’est ce qui m’a amené à faire de l’art." 

 

Entant qu’artiste textile tu mêles divers techniques, quand et comment as-tu découvert ces techniques ? Pourquoi ces techniques-là ? 

"Plus jeune je customisais déjà mes vêtements avec des broderies, je fabriquais mes accessoires, j’explorais avec ma créativité. Je dessinais et peignais aussi beaucoup, mais le textile offrant plus de diversité visuelle, de textures et reliefs, je me suis orientée vers cette pratique. Le travail des fibres me plait, il permet de tout concevoir de A à Z, comme avec le crochet ou le tricot, je peux concevoir mon vêtement du début à la fin, c’est satisfaisant."

"Peu avant le confinement j’ai commencé le point noué ou ‘punch needle’. C’est une pratique que j’ai trouvée très lente car tout est fait manuellement, point par point. Ça peut être décourageant de travailler plusieurs mois sur une œuvre, on a l’impression que l’inspiration, et la créativité est passée. J’ai alors découvert le tufting gun qui m’a permis d’évoluer plus rapidement et créer plus facilement ce que j’imaginais. C’est une technique ou l’on utilise un pistolet alimenté par du fil, qu’on presse contre une toile tendue pour faire passer le fil à travers et créer la surface du tapis. Je travaillais alors de plus grandes surfaces qu’avec la broderie ou le punch needle." 

"Ce qui m’a toujours attiré c’est le côté manuel, produire un objet soi-même, être dans cette démarche d’artisanat. Parmi toutes les techniques, je trouve le tufting plus créatif parce qu'il me permet de combiner le dessin, le tufting et plus récemment un élément 3D."

 

Tu es représentée par la galerie, ‘that’s what x said’, qu’est-ce que cela signifie ?

"Je leur confie le travail de relationnel, la partie business, et la communication, c’est un travail en moins à faire. Grâce à elles j’ai le luxe de me concentrer sur la créativité. Si un·e client ·e souhaite acquérir une de mes pièces, iel doit contacter la galerie."

Une fois que tu as défini un nouveau projet, que se passe-t-il ? Quelles sont les étapes de ton processus créatif ?

"Quand l’inspiration vient je dessine directement sur la toile puis je ‘peins’ avec les fils à l’aide de mon tufting gun. Contrairement à la peinture rien n’est définitif, si ça ne me plait pas j’enlève le fil et je recommence. Au début je dessine en perspective, ce qui me permet de visualiser le projet, puis sur la toile de moine je crée comme un patron, un support de la forme que je souhaite faire. En gros je déconstruis la forme imaginée, je la mets à plat et dessine chaque partie avant de les assembler. "

Vase by Shishi San / Clothes by Botter Paris / Makeup & hair: Kim Theylaert / Model: Kofi Von Ohene / Assistant styling: Cynthia De Blander / Assistant photo: Dimitri Bekaert

Ton travail fait partie de l’exposition A(R)MOUR de Mous Lamrabat au MAD. Comme Mous dans ses photographies, ton inspiration vient-elle d’un héritage culturel ? 

"J'ai toujours été inspirée par les fleurs asiatiques, les vases chinois, et japonais par leurs motifs, leurs couleurs et leurs formes. J'ai voulu créer ma propre version de ces vases en m'inspirant à la fois de mes origines, je suis Vietnamienne, ma culture, mes propres expériences et de leur identité visuelle. Dans beaucoup de pays d’Asie, les fleurs ont un symbole, par exemple en chine le Lotus représente le bonheur et la bienveillance."

"Je m'inspire souvent des fleurs en raison de la diversité de leurs formes, de leurs couleurs et de leurs variétés. Je cherche surtout à exprimer ma personnalité, mon ressenti dans mon travail, apporter quelque chose de coloré et positif. Je suis complètement autodidacte et j’accorde beaucoup d’importance à la recherche, il ne faut surtout pas copier ou se réapproprier les choses mais plutôt comprendre et faire en suivant son intuition et sa personnalité."

"Mous dans son travail s’inspire beaucoup de l’orient, et particulièrement du Maghreb et du Maroc sous couvert de son œil belge et moi je cherche dans ma sensibilité l’Asie à travers les motifs et les fleurs. La photo de l’exposition est parfaite dans ces inspirations culturelles."

 

Quelle est la prochaine étape pour toi ? Vas-tu essayer d'autres formes de création ?

"Mes œuvres seront exposées à New York dans la Galerie Hashimoto du 15 juillet au 5 août, il s’agit d’un groupe show sur le thème des fleurs. Puis nous préparons avec la galerie that’s what x said, qui me représente, une solo expo à partir de janvier 2024, où je présenterai une évolution de mes vases."

 

As-tu des conseils à donner aux jeunes artistes qui démarrent ?

"Je dirai qu’il faut être autonome et se donner les moyens de vivre de sa passion. Dans mon processus d’art je me suis toujours intéressée à l’origine de l’art et de ce que j’exploite. D’où ça vient, comment on faisait à l’époque ainsi que les évolutions, je réfléchis au sens et au concept. Il faut être plus curieux, cultivé et autonome. Plus je travaille un objet plus je fais de recherches, pour ne pas faire quelque chose de superficiel. À notre époque il y a beaucoup trop d’appropriation culturelle, tout est rendu très accessible avec la viralité des réseaux, d’internet. À l’école on étudiait le copyright, on se renseignait sur ce qui avait été inventé dans le passé, sans entrer dans un processus de copie car c’est ‘cool’. Il faut chercher à se distinguer."

"Je suis autodidacte, j’ai tout appris par moi-même. Ça me semble important de s’informer, de comprendre un processus avant de le faire ou le répéter. Je pense que c’est de cette façon que l’on peut dire que l’on exprime ce que l’on fait. On ne peut pas se considérer artiste ou faire de l’art si on fait de la copie bêtement. Il faut trouver une façon de se distinguer pour éviter les problématiques d’emprunts et d’appropriations."

  © Shishi San
  © Alix Joiret
  © Shishi San
  © Alix Joiret
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  © Alix Joiret