Aurélie Defez

© Kaatje Verschoren

“Je fais des memes sur les vêtements.” En subvertissant classes et hiérarchies sociales à travers un langage narratif décalé et mordant, Aurélie Defez explore le paradoxe d’une démarche qui, tout en dénonçant les inégalités, crée des objets prisés par une clientèle privilégiée, l’amenant ainsi à se confronter aux systèmes qu’elle cherche à remettre en question. 

Aurélie Defez, designer, est diplômée en 2021 de la Design Academy Eindhoven (DAE).  Dès la fin de ses études, elle participe à la Dutch Design Week  en 2021. Elle poursuit ensuite  son parcours à l’ERG (École de Recherche Graphique) à Bruxelles,  où elle explore le lien entre design, graphisme, mode et théorie critique à travers un master en "Design et Politique du Multiple".  Ce cadre académique lui permet de développer ses premières collections tout en laissant mûrir un projet artistique singulier. Ses créations ont depuis trouvé écho dans plusieurs expositions, comme Modern Craft au MAD Brussels (2021-2022), où elle a exploré les croisements entre artisanat et modernité, ou encore durant le FASHIONCLASH Festival à Maastricht (2022), où elle a présenté des pièces narratives dans une démarche alliant mode et critique sociale. Plus récemment, en 2023, elle expose lors de Infra·Flux, une exposition de diplômé·es de l'ERG, et participe à Draad à Texture, en Belgique (2024). Son travail est publié dans l'édition automnale de Slanted Magazine (2024), qui se penche sur les croisements entre mode et typographie, un domaine où Aurélie Defez continue d’explorer de nouvelles voies narratives et critiques. 

“J’ai deux facettes: me questionner sur la valeur marchande de l’esthétique dans le design et de son implication dans le système capitaliste reposant sur la fétichisation des objets originaux, versus, faire des objets stylés et les vendre à des riches.” 

© Kaatje Verschoren

Depuis aussi loin qu'elle s'en souvienne, Aurélie Defez se consacre à une vision de la mode qui dépasse la dimension purement esthétique. Les couleurs, les motifs, les matières n’évoquent pas en elle de simples ornements : ce sont des marqueurs d’identité, des signes qui façonnent notre place et notre perception dans la société. Le vêtement s’apparente alors un langage visuel structurant les relations sociales et pouvant accentuer les distinctions de classe. En ce sens, il apparaît évident pour la créatrice que le rôle du·de la designer ne se limite pas à la production d’objets esthétiques ; iel doit également interroger les dynamiques sociales et politiques qui sous-tendent ses créations. Finalement à, qui sont destinées celles d’Aurélie Defez ? Sa réponse, teintée de sarcasme, révèle un paradoxe central à sa pratique :  “J’ai deux facettes: me questionner sur la valeur marchande de l’esthétique dans le design et de son implication dans le système capitaliste reposant sur la fétichisation des objets originaux, versus, faire des objets stylés et les vendre à des riches.” Le ton est donné, empreint d’une réflexion critique qui devient signature de son approche créative. 

La créatrice ne se contente pas d’observer les dynamiques sociales et culturelles qui traversent son époque : elle les interroge, les détourne et s’y confronte. Au cœur de sa pratique, le "meme" devient à la fois un langage narratif et un prisme d’analyse critique de la société contemporaine. Volatile et malléable, ce médium, emprunté à l'imaginaire collectif des réseaux sociaux, lui permet de construire une dialectique ironique et de créer un écosystème de significations partagées. En s’appropriant des images banales à portée virale, Aurélie Defez les réinvestit comme un langage détourné, où l’ironie désamorce les attentes usuelles. Dans son projet eAt tHe rIcH, elle revisite une série de vêtements incluant du sportswear et du workwear, qui jette un regard satirique sur la marchandisation des cultures et esthétiques populaires. Des broderies de citations tirées de memes se substituent aux  traditionnels flocages sur des pièces symboliquement et historiquement associées aux classes populaires. En associant des vêtements issus de la mode populaire avec des techniques de broderie, elle détourne des pièces perçues comme dépassées pour en faire des objets de désir, remettant en question l'ordre établi des goûts et mettant en lumière la tension entre valeur matérielle et valeur symbolique.

© Kaatje Verschoren

Aurélie Defez remet en question les normes de la mode en créant des pièces qui critiquent la consommation de luxe et la survalorisation de certaines esthétiques, tout en reconnaissant avec ironie qu'elle alimente le même système qu'elle critique. Sa collection Gentrification Scarves (2023) illustre ce paradoxe : pour être rémunérée de manière éthique, elle doit vendre sur des marchés haut de gamme, limitant ainsi l'accessibilité de ses créations. Les écharpes, réalisées en deux couches de tissu satiné avec un rembourrage, reprennent littéralement un meme, en traduction littérale : "Si vous voyez cet [objet] dans votre quartier, le loyer va bientôt augmenter". À travers cette série, elle souligne avec humour que le design, souvent valorisé pour son authenticité et son exclusivité, demeure réservé à une catégorie de clientèle disposant de moyens financiers ou du capital culturel nécessaires, perpétuant ainsi une forme d’élitisme dans son accès.