© Alessandro Destro

Les chaussures racontent des histoires, même quand elles sont complètement défoncées.

Interview avec Isabel Wolfs

Isabel Wolfs est fabricante, créatrice et véritable passionnée de chaussures. Depuis son plus jeune âge, elle nourrit une fascination pour cet objet du quotidien, qu'elle explore aujourd’hui avec une approche mêlant expertise technique, souci de durabilité et recherche approfondie sur les matériaux. Au cœur de sa démarche : les histoires enfouies dans les baskets, une fois qu'elles sont privées de leur identité et reléguées au rang de déchets. Studio Wolfs n’est pas qu’un simple label : c’est une invitation à repenser notre rapport aux vêtements, à interroger ce que nous portons et pourquoi. À travers son travail, Isabel Wolfs redéfinit non seulement la notion même de chaussure ou de vêtement de sport, mais aussi la valeur que nous attribuons aux objets.

Isabel a débuté en tant que designer invitée chez MAD Brussels, avant de rejoindre l’Incubateur où elle poursuit aujourd’hui ses projets. Nous avons échangé avec elle sur son parcours, sa vision et les initiatives qu’elle développe au sein de MAD.

 

 

Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours et de la façon dont vous êtes entrée dans le monde du design de sneakers et penchée sur la recherche sur les matériaux ?

"J’ai commencé très jeune dans la mode. À quatorze ans, j’ai entamé une formation professionnelle en habillement (BSO) en Belgique. Jusqu’à mes dix-neuf ans, j’étais presque en permanence derrière une machine à coudre : je dessinais des patrons, je suivais des cours du soir, je faisais beaucoup de pratique. Ensuite, j’ai travaillé pendant deux ans dans un atelier, mais j’éprouvais le besoin de développer une approche plus conceptuelle. C’est ce qui m’a poussée à intégrer l’Académie Willem de Kooning à Rotterdam."

"Là-bas, je me suis rapidement rendu compte que j’avais une solide base technique, mais que la réflexion purement conceptuelle me demandait plus d’efforts. J’ai vraiment trouvé ma voie lorsque j’ai commencé à m’intéresser au vêtement de sport, un domaine pour lequel je vous toujours une attirance particulière. Le sportswear m’a naturellement menée vers les sneakers. J’ai littéralement commencé à démonter des baskets pour comprendre comment elles étaient fabriquées. C’est comme ça que tout a commencé. Pendant la pandémie, j’ai eu l’opportunité de collaborer avec un cordonnier à Amsterdam dans le cadre de mon projet de fin d’études. Cette expérience a été un véritable tournant pour moi."

 

Y a-t-il une partie de la sneaker qui vous fascine particulièrement ?

"Je me sens surtout à l’aise avec l’upper, c’est-à-dire la partie supérieure de la chaussure, car la couture est vraiment mon domaine de prédilection. C’est là que je me sens en accord avec mon univers. Mais je suis également très fascinée par les semelles. Récemment, j’ai suivi un cours de modélisation 3D pour mieux comprendre leur conception. Le véritable défi, c’est qu’une sneaker doit être à la fois confortable à porter et techniquement performante. Cette complexité rend le design plus difficile, mais c’est aussi ce qui le rend passionnant."

 

  © Yana Van Nuffel

Dans votre projet Valorun, vous mettez en avant de vieilles sneakers et les histoires qui s’y rattachent. Pourquoi est-ce important pour vous ?

"J’ai toujours été fascinée par la notion de valeur, qui dépasse largement l’aspect économique pour toucher aussi à la dimension émotionnelle. Autrefois, les gens possédaient souvent une seule paire de chaussures, qu’ils chérissaient profondément. Ces chaussures étaient porteuses de souvenirs précieux."

"Pour Valorun, j’ai invité les gens à répondre à un questionnaire concernant leurs anciennes sneakers : les lieux qu’elles avaient parcourus, les raisons pour lesquelles elles avaient été abandonnées, mais surtout les souvenirs les plus forts ou marquants qui leur étaient associés. J’ai reçu des récits incroyablement riches : des voyages, des festivals, des moments en famille, voire même des expériences de deuil. Cela m’a profondément touchée. J’ai alors réutilisé des éléments de ces baskets pour créer de nouvelles paires, des modèles qui reflètent à la fois visuellement et conceptuellement ces histoires. Aujourd’hui, mon travail s’inscrit davantage dans une démarche formelle et technique, mais cette dimension émotionnelle reste pour moi un élément essentiel."

 

Vous dites vous-même : ce n’est pas simplement de l’upcycling, c’est autre chose. Qu'entendez-vous par là ?

"Je préfère ne pas parler d’upcycling au sens traditionnel du terme. Pour moi, il ne s’agit pas seulement de créer du « neuf » à partir de matériaux anciens, mais plutôt de faire du « mieux »."

"Cela demande des compétences techniques pointues et un véritable savoir-faire. Mon objectif est d’honorer et de sublimer la valeur intrinsèque des matériaux d’origine."

"Aujourd’hui, je repense les matériaux et leur conception. Par exemple, pour les vêtements, j’utilise des techniques telles que le plissage ou de nouvelles formes d’assemblage. Ma formation technique est essentielle dans cette démarche. Je crois que l’upcycling ne prend tout son sens que si le produit final est véritablement de haute qualité et durable."

 

Qu’espérez-vous accomplir ou explorer pendant votre résidence au MAD, en tant que designer invitée résident à l'Incubateur ?

"J’ai tendance à travailler sur plusieurs projets en même temps, ce qui fait qu’il n’est pas toujours évident, de l’extérieur, de comprendre précisément ce que je fais. Pendant mon séjour au MAD, je souhaite clarifier et mieux communiquer la vision du Studio Wolfs :  non seulement en tant que créatrice individuelle, mais aussi comme un studio ouvert à la collaboration.

"J’ai ressenti un manque dans le secteur de la mode à Bruxelles, ce qui m’a poussée à faire une pause. Aujourd’hui, grâce à MAD Brussels, j’ai le sentiment de pouvoir réellement construire quelque chose ici. Le domaine de la chaussure est peu exploré dans la ville, et il me paraît important et stimulant d’y apporter une dynamique nouvelle. Je souhaiterais contribuer à ramener plus d’innovation et d’énergie dans ce secteur à Bruxelles."

 

Sur quels projets nouveaux ou à venir travaillez-vous en ce moment ? Qu’est-ce qu’on peut attendre avec impatience ?

"Je suis sur le point de lancer un projet centré sur les femmes et le sport, sur lequel je travaille depuis plus d’un an et demi. Il provient de mon intérêt pour les vêtements de sport, mais avec une approche critique, en questionnant notamment ce qui manque dans l’offre dédiée aux femmes. Souvent, il n’existe qu’un seul type d’uniforme sportif standard, et je voulais remettre cela en cause. Pour ce projet, j’ai mené des recherches approfondies sur l’histoire des femmes dans le sport et leurs vêtements."

"En septembre, ce travail sera présenté lors d’une exposition en collaboration avec Yana Van Nuffel. L’exposition réunira des visuels, des vidéos, ainsi que la collection capsule elle-même, dont j’ai développé les tissus, conçu les modèles et supervisé la création. Nous avons aussi collaboré avec des athlètes bruxelloises reconnues, et je suis très curieuse de découvrir la réaction du public face à ce projet."

 

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