Anna Tou

© Kaatje Verschoren

Au sein de son atelier, les céramiques d’Anna Tou jettent le pont entre le tangible et l’intangible, brouillant délibérément la frontière entre art et artisanat. Une ode à la matière qui ramène la terre - celle qu’on façonne et qui façonne - à sa juste place : dans notre quotidien.

Anna Tou designer céramiste, obtient un Diplôme des Métiers d’Art (DMA) à l'École supérieure des arts graphiques d’Estienne, en typographie, où elle se spécialise dans le dessin de lettres, la calligraphie et la typographie au plomb. Par la suite, Anna poursuit son parcours à l’école GOBELINS, se formant au motion design, une discipline qui lui permet d’allier créativité et technologie. Installée à Bruxelles, elle travaille comme freelance, collaborant avec des marques des secteurs de la mode et de la gastronomie pour des projets de branding et de design visuel. En parallèle, son expérience professionnelle s’élargit au fil de projets en graphisme et en direction artistique. C’est durant un séjour de deux ans à Toronto, Canada, qu’Anna découvre la céramique, un art qui deviendra central dans sa carrière. Formée par la céramiste japonaise Joni Moriyama, elle se passionne rapidement pour cette discipline artisanale. À son retour à Bruxelles, elle s'inscrit à l’Académie des Arts pour approfondir ses compétences en céramique. Guidée par une volonté de transmettre à son tour, elle installe son propre atelier dans sa maison bruxelloise, pour produire ses créations, tout en partageant sa passion pour la céramique à travers des formations et ateliers.

Dans notre génération, tout est instantané : on peut commander à manger en une demi-heure. Avec la céramique, c’est comme un retour à une technique ancestrale, un acte de création d’objets que nous utilisons nous-mêmes. C'est une expérience incroyable de redonner du sens à la fabrication, plutôt que de céder à la consommation rapide et à l'achat immédiat.

 

© Kaatje Verschoren

“Une odeur... et le toucher : toucher la terre. Ça ramène à des choses profondes.” Les sens en éveil, et avec eux, l’esprit de réminiscence, Anna Tou nous rappelle que la céramique n’est pas seulement une technique, mais un art de vivre, un geste ancestral qui renoue avec notre lien intime à la nature. Au cœur de sa pratique, la terre devient un matériau vivant, témoin des âges et des civilisations, évoquant les débuts de l’humanité. Inspirée par son héritage de l’Ouest de la France, où des pierres millénaires gardent les empreintes du temps, elle puise dans la mémoire des lieux pour capturer à la fois l’instant présent et les échos du passé. Ce retour aux sources, aux techniques ancestrales et essentielles, devient une forme de méditation active, où l’esprit se libère à travers la matière. Dans l'atelier d'Anna, aménagé dans sa maison bruxelloise, il n’y a pas de réseau, offrant un espace de déconnexion totale. Elle y accueille d'autres passionné·e·s, créant un lieu de partage et de transmission de savoir, où chacun peut s’éloigner des contraintes modernes pour retrouver un lien authentique avec la terre et la création. 

 

© Kaatje Verschoren

Dans cet espace créatif, elle travaille essentiellement le grès et la porcelaine, des terres cuites à haute température, utilisant un émail transparent qui révèle la teinte naturelle de la terre. Au cœur de son processus le geste se révèle fondamental, marquant chaque pièce d’une empreinte singulière : un martèlement qui devient sa signature et qui incarne l'intention universelle de l'artiste : laisser une trace indélébile. Ses créations font écho à la résonance graphique qui découle de son travail de la lettre et de son expérience en tant que designer graphiste. Elle aborde la terre comme un support à tatouer, en y gravant des lignes initialement pensées pour mettre en avant l’assemblage des différents morceaux de terre. Ces tatouages linéaires ont évolué pour devenir un motif graphique distinctif, à l’image d’un pattern et de coutures apparentes que l’on peut observer dans le monde de la mode.

Désireuse d'explorer davantage dans le design collectible, Anna Tou ne se limite pas à la création d’objets utilitaires : elle défie la séparation traditionnelle entre l’art et l’artisanat. « Une tasse peut aussi bien se tenir sur une étagère comme œuvre d’art que contenir un café brûlant entre les mains.» À travers cette vision, elle remet en question notre rapport aux objets du quotidien, les invitant à être perçus sous un nouveau jour, à être à la fois admirés pour leur esthétique et appréciés pour leur usage. À cet égard, son œuvre s'enrichit d'une dimension figurative, témoignant d'une évolution de son discours artistique. Durant la période de solitude imposée par la crise sanitaire, Anna Tou a puisé dans ce moment d'introspection pour faire évoluer sa pratique autour d’une réflexion sur l'importance des relations humaines qui ont marqué son parcours. Inspirée par celles et ceux qui ont compté pour elle dans une période d’isolement totale, elle sculpte leurs portraits à partir de matériaux de fortune comme le papier mâché. Ces masques, influencés par son admiration pour des artistes tels qu'Éric Croes, deviennent à la fois des hommages et des ornements muraux, symbolisant la place centrale de l'humain dans sa pratique artistique à travers la simplicité de la terre.