Marie Douel
Marie Douel© TAVU - Youness Ben Hamza

"Soutenir l’écoconception est un positionnement politique plutôt qu’économique."

Interview avec Marie Douel

16 avril 2025

C’est au dernier étage de l’agence de communication TAVU que MAD retrouve Marie Douel. Fondée en 2019, le Studio Marie Douel, spécialisé en scénographie d’expositions travaille à l’international : Centre d’innovation et de design au Grand-Hornu, Fundación Telefónica à Madrid, Musée des Arts et Métiers de Paris, Musée d’histoire naturelle de Fribourg.

Marie Douel conçoit l’espace comme une narration. Entourée de maquettes et d’échantillons, elle évoque les défis de son métier et rappelle que si tout commence par un dessin rien ne se concrétise sans une équipe solide. Aujourd’hui, Bavo Gladiné et Lolà Mancini l’ont rejoint au sein de son studio.

Pour la quatrième collaboration avec le MAD Brussels, le studio signe la scénographie de Matching Seats et à cette occasion, Marie Douel revient sur son parcours.

Marie Douel

De la tapisserie à la scénographie, raconte-nous comment est né le studio Marie Douel.

"J’ai débuté mes études en France à l’Ecole Boulle en tapisserie décoration, j’y ai appris à confectionner des chaises, des rideaux selon les méthodes traditionnelles. Puis j’ai poursuivi mes études en Suisse à l’ECAL, en design industriel. A la suite de mes études, j’ai co-fondé Hors Pistes, un programme de résidence internationale. Nous sommes parti·e·s au Burkina Faso puis au Groenland. Le but, c’était de créer des échanges professionnels avec des designers, des photographes, des artisan·e·s…. Et nous clôturions les résidences par des expositions que je scénographiais avec l’équipe. Ensuite j’ai déménagé en Belgique et j’ai rejoint le studio de design de Sylvain Willenz. Ce sont ces deux expériences qui m’ont amené à me spécialiser dans l’aménagement de l’espace pour le milieu culturel. Et j’ai lancé il y a maintenant 6 ans, le Studio Marie Douel. Aujourd’hui, l'équipe s'est agrandit avec deux collaborateur·ice·s : Lolà Mancini et Bavo Gladiné."

Matching Seats

Est-ce que ta formation à l’Ecole Boulle a inspiré d’une quelconque manière le concept de scénographie de Matching Seats?

"A l’Ecole Boulle, on apprend les techniques artisanales pour concevoir une chaise tandis qu’à l’ECAL, on étudie les techniques en série pour produire une chaise. Avec les chaises présentées dans Matching Seats, il ne s’agit ni d’artisanat ni de design industriel mais des chaises d’artistes, des objets de conviction. J’ai donc déconstruit tout ce que je savais de la conception d’une chaise. Et c’est cette pensée qui m’a inspiré la scénographie : la déconstruction. J’ai déconstruit la chaise, étape par étape et pièce par pièce pour retransposer ces éléments caractéristiques de la chaise dans l’espace. J’ai joué avec les sangles, les pièces en bois et cela a créé la scénographie avec la mise à distance des objets présentés. Comme l’exposition fait également le lien avec la mode, j’ai pensé toutes les connexions avec des accessoires de mode." 

Matching Seats  ©  TAVU - Youness Ben Hamza
Matching Seats  ©  TAVU - Youness Ben Hamza
Matching Seats  ©  TAVU - Youness Ben Hamza
Matching Seats  ©  TAVU - Youness Ben Hamza
Mirror Chair by Kai Linke

Avec quelle chaise de Matching Seats, matches-tu?

"Je matche avec la chaise Mirror de Kai Linke. Je l’aime bien parce que c’est revisiter un archétype de la chaise en plastique, si emblématique de l’objet injecté en une seule pièce et qui comporte un geste clair."

Peux-tu partager le processus de création d’une scénographie d’exposition ?

"Monter une expo c’est comme réaliser un film, il y a toute une équipe avec des rôles bien distincts. Dès lors que le/la curateur·ice ou commissaire d’exposition - qui est un peu comme le réalisateur·ice d’un film - me livre la liste d’objets à exposer, je réfléchis à transposer le propos de l’exposition dans l’espace. Je pense aux matériaux, à la circulation, à la lumière et comme au cinéma, je collabore avec des régisseur·se·s, des graphistes, des éclairagistes… Je dessine la scénographie et pour cela je respecte des phases propres à l’architecture d’intérieur en livrant : l’esquisse, l’avant-projet sommaire et l’avant-projet définitif. L’esquisse, c’est l’idée. L’avant-projet sommaire, c’est là où on commence à placer les objets dans l’espace et à imaginer le scénario de visite avec sa circulation et son chapitrage et enfin l’avant-projet définitif, c’est le choix des matériaux, les plans techniques, le budget… C’est le concret!"

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Quels sont les défis que tu rencontres souvent dans ton métier?

"Au studio, on distingue bien les contraintes des défis. Les contraintes de temps, de budget, de conservation d’œuvre définissent un cadre et déterminent le projet. Tandis que les défis sont souvent humains et politiques. Le premier défi que je rencontre c’est l’invisibilisation ou la méconnaissance des métiers techniques qui sont indispensable au milieu culturel. Définir le rôle de chacun·e lors d’un projet garantit la qualité d’une exposition. Je ne vais pas par exemple m’impliquer dans le choix des objets à exposer, c’est le rôle du/de la curateur·ice. En tant que scénographe, je vais m’impliquer dans l’espace, la circulation, les détails d’accroche. Le second défi que je rencontre concerne la notion d’éco-conception ou de créer avec ce que l’on possède. Il y a une fausse idée qui persiste qui est celle que réutiliser coûterait moins cher. Les clauses des appels d’offre suggèrent de réutiliser et revaloriser des matériaux existant sans pour autant assurer le budget nécessaire à cela. C’est important d’avoir conscience que l’écoconception demande du temps et de l’argent. Soutenir l’écoconception est un positionnement politique plutôt qu’économique."

Unstable Point exhibition for Jaou Tunis 2024

As-tu un conseil ou un skill redoutable à partager aux futurs scénographes?

"Je pense que ça rejoint ce que j’ai disais précédemment, j’ai l’impression que le meilleur conseil que je pourrais donner, c’est d’accepter que chacun·e a son rôle.  Et aussi de bien s’entourer humainement. Avec des gens qui sont à l’écoute et réactif·ve·s. Car ça ne se passe jamais comme prévu ! Dès les études, soyez curieux·se et allez voir les autres sections, rencontrez des élèves photographes, graphistes, typographes pour ensuite travailler avec elleux. C’est ce qui m’est arrivé pendant mes études, j’ai eu la chance de rencontrer pleins de gens de sections différentes avec qui je collabore encore aujourd’hui."

Marie Douel Studio for Jaou Tunis 2024
Marie Douel Studio
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Marie Douel Studio